«Libérons les voix des femmes ensemble!»
C’était le nom de la soirée hommage dont j’ai participé à l’UNEQ, le 28 avril 2016. Le comité femmes du Centre québécois du P.E.N. International, qui s’insurge contre toute forme de répression à la liberté de parole, a organisé cette soirée pour rendre hommage aux femmes détenues politiques à travers le monde. C’était le jour où j’ai déposé mon mémoire de maîtrise en création littéraire à l’Université de Montréal, donc manifester une solidarité à ces femmes me semblait très pertinent comme une jeune écrivaine et un journaliste engagé.
Onze écrivaines et journalistes jumelées à chacune de ces femmes détenues ou assassinées à travers le monde ont dressé leur portrait, ont dénoncé les injustices dont elles sont victimes et leur ont dédié un texte. Les grandes écrivaines du Québec; Catherine Mavrikakis, Nicole Brossard, Denise Desautels, Claudine Bertrand, Marie-Ève Blais, Lise Gauvin, Pascale Navarro, Louise Dupré, Maya Ombasic, Martine Delvaux, Yara El-Ghadban ont choisi des écrivaines injustement harcelées, emprisonnées et assassinées pour leurs prises de paroles. Habillées tous en noir, elles ont libéré la voix de ces femmes; Dina Meza (Honduras), Wajeha Al-Huwaider (Arabie Saoudite), Gao Yu (Chine), Fatima Naoot (Égypte), Narges Mohammadi (Iran), Khadija Ismayilova (Azerbaïdjan), Mahvash Sabet (Iran), Atena Farghadani (Iran), Anna Politkovskaïa (Russie), Anabel Flores Salazar (Mexique) et Perihan Mağden (Turquie).
Comment tenir les larmes dans une soirée si émouvante? J’ai fermé les yeux et j’ai pensé à toutes ces femmes qui sont dans les prisons à cause de leur courage. Ces femmes souffrent parce qu’elles ont l’espoir d’améliorer la condition humaine et elles sont contre la soumission et la corruption. J’ai pensé aussi à Benazir Bhutto, l’ancienne première ministre pakistanaise, cette femme fabuleuse avec qui j’avais fait une rencontre sur le thème de la paix quand j’avais 14 ans, comme le plus jeune journaliste de la Turquie. Bhutto, l’une des premières femmes qui m’inspiraient, a été assassinée dans un attentat. Grâce à cette soirée hommage du comité femmes, j’ai trouvé l’opportunité de rendre hommage également à elle.
Quelques jours après ce spectacle, j’ai rencontré Germaine Beaulieu, l’organisatrice de la soirée et le responsable du comité femmes du Centre québécois du P.E.N afin d’approfondir mes connaissances sur leur mission et leurs projets.
Comme Beaulieu m’a dit lors de notre entrevue enrichissante; « le comité est jeune, mais en pleine action ».
D. O : Combien de femmes sont détenues politiques dans le monde?
G. B : Votre question est très pertinente. Malheureusement, on n’a pas cette information. J’ai demandé à Londres, au secrétariat international, mais c’est difficile de le savoir au juste. Il y a des femmes en prison et en liberté surveillée. On n’a pas de statistique exacte. C’est très difficile de le savoir parce que les gouvernements ne le donnent pas non plus. Dans les régimes totalitaires, ils refusent ces questions-là. Pour notre soirée, P.E.N International nous a donné environ une vingtaine de noms de femmes et on a choisi au hasard. On avait donné priorité aux trois catégories : des femmes emprisonnées et en attente de condamnation, en liberté surveillée et qui ont été assassinées. On a voulu parler de ces trois groupes de femmes. Pourtant, il y a surement plus qu’une vingtaine de femmes détenues politiques dans le monde. Les gouvernements ne déclarent pas le nombre, mais si un auteur est accusé de son écrit, on tient au courant grâce aux centres P.E.N qui trouvent dans les pays. Malgré cela, on ne peut pas avoir toujours la statistique. On a la possibilité d’accéder à cette information si P.E.N existe dans un pays. Le centre P.E.N. du pays envoie tout de suite cette information à Londres (où siège P.E.N International) qui diffuse cette nouvelle aux autres centres du monde pour que nous prenions l’action le plus tôt possible. Alors, je vais recevoir un courriel comme tous les membres du centre québécois du P.E.N international et on sera invité à signer des pétitions et à envoyer des lettres au gouvernement. Malheureusement, on saccage ou on détruit les centres P.E.N. dans les pays où il y a la dictature.
D. O : Quand et comment un comité femmes a été fondé à Montréal?
G. B : Il y a eu ce grand 81e Congrès mondial de PEN international dans la ville de Québec au mois d’octobre dernier. J’y étais présente avec ma collègue écrivaine Hélène Lépine. J’ai vu des femmes du monde entier qui parlaient de la condition des femmes de leur pays. On m’avait demandé de représenter le Québec au congrès et les besoins des femmes au Québec, parce qu’au Québec, il n’y avait pas un comité femmes encore. Avant d’y participer, j’ai réalisé des sondages avec les femmes québécoises pour savoir leurs besoins, leurs conditions et leurs préoccupations. Dans le congrès, j’ai fait un court exposé qui résumait les propos tenus par les femmes, les écrivaines du Québec sur les conditions des femmes au Québec. Au mois de décembre dernier, on a décidé de mettre sur pied le comité femmes à Montréal. Hélène Lépine a fait le même travail dans la région du Québec. J’ai invité des femmes à participer à cette première initiative. Elles sont venues et on a décidé ensemble nos objectifs de travail.
D. O : Quel est la mission du comité femmes au sein du centre Québec?
G. B : Vous savez, c’était tellement grave, on s’est dit : « Qu’est-ce qu’on peut faire dans un pays où on vit dans une démocratie quand ces femmes-là, elles se sont torturées et mises en prison? On était presque gênées de se définir. Mais, les femmes du comité ont tout de suite mis sur la table que ce n’est pas parce qu’on vit dans une démocratie que notre voix est entendue. Les femmes du comité qui sont professeures de l’université ont dit qu’il n’y avait pas de parité dans les livres à enseigner. Vingt-cinq ou trente pour cent des livres sont des livres de femmes. Le reste est des livres d’homme. Les livres des femmes existent, mais on ne les fait pas circuler. Quand il y a des émissions littéraires au média, ce sont souvent des hommes qui animent les émissions et la priorité est donnée aux hommes pour participer à ces émissions-là. Dans les prix, on vit également le même problème. Donc, les femmes du comité ont décidé de travailler sur le thème de la parité homme femme, de sensibiliser les départements des universités et les salons du livre, ensuite de continuer le travail dans les remises des prix. On veut également établir une grande complicité avec les femmes écrivaines autochtones, immigrantes et les jeunes écrivaines. Il y aura une librairie des femmes qui ouvrira ses portes cet automne à Montréal. Comme vous voyez, notre comité est jeune, mais en pleine action.
D. O : Absolument. Est-ce que le comité femmes va collaborer avec d’autres comités au niveau du centre québécois?
G. B : Bien sûr. Quand il y a notre grande réunion du conseil d’administration, chacun des responsables donne les actualités de son comité. On s’invite à nos activités et on se demande des soutiens.
D. O : Qu’est-ce qu’on peut apporter à la collectivité en devenant membre du centre?
G. B : Quand on devient membre, on peut contribuer davantage à la sensibilisation de la cause. Les membres reçoivent directement des informations du centre concernant les détentions et ils se sont invités à signer des pétitions et participer aux manifestations. Avec les petites cotisations, ça va permettre aux intéressés d’organiser des soirées de lecture comme celle du 28 avril. Toute personne qui a déjà publié un livre peut devenir un membre, parce que c’est un groupement de poète, d’essayiste et romancier.
D. O : Nous les lecteurs, comment on peut accéder davantage aux écrits des femmes détenues pour libérer leur voix?
G. B : Malheureusement, accéder aux textes de ces femmes est difficile pour tout le monde. Afin de trouver certains écrits pour notre spectacle, j’ai contacté Londres, portant même eux, ils ne pourraient que nous donner une vingtaine de noms de femmes. Les écrivaines de la soirée, chacune a fait leur recherche sur l’internet à partir de la liste de ces noms. La traduction va sûrement faciliter l’accès à ces écrits et va aider ces femmes détenues.
D. O : Quels sont vos prochaines activités du comité femmes?
G. B : Cet automne, on a deux projets majeurs qui vont naître : la libraire des femmes et la sensibilisation sur la parité dans l’Université de Montréal et dans les cégeps. Dans le comité, on a aussi des écrivaines qui travaillent dans les salons du livre pour qu’il y ait une équité dans le choix des écrivains qui vont faire la lecture.
Merci beaucoup pour cette entrevue enrichissante Madame Beaulieu, et pour vos projets sur une cause si importante.
Je vous remercie pour votre intérêt.
https://penquebec.org/
Duygu Özmekik / Bizim Anadolu / Notre Anatolie / 24 Mai 2016
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