Vartan Hézaran nous fait connaître l’Ouest canadien
Une première œuvre de notre journaliste Vartan Hézaran a été publiée par les Éditions du Blé au Manitoba.
Le premier recueil de Vartan Hézaran qui s’intitule « Là-bas dans la plaine », comporte six longues nouvelles et nous font découvrir l’Ouest canadien.
Un conteur exceptionnel, Vartan Hézaran qui, d’après lui, n’ayant plus trouvé des bons auditeurs, décide d’écrire. Cela est une blague sans doute puis qu’il écrivait autant dans sa tête que sur les papiers depuis son enfance en a fait publié certaines dans les revues littéraires et au journal Notre Anatolie.
Dans ses nouvelles, Vartan Hézaran nous fait connaître les gens qui passent de nos côtés dans les rues, dans les cafés ou dans les bars que nous ne faisons pas attention ou qu’ils sont invisibles à nos yeux.
Ces gens sont peut-être un fermier, un chasseur, un ouvrier ou tout simplement une serveuse dans un café ou bar… Ces gens font parties de nos vies et ils vivent avec nous…
Vartan Hézaran raconte et fait une histoire les petits moments de ces gens-là avec une grande modestie…
Il le fait avec une finesse et sans vous surprendre. A la fin de la lecture vous avez l’impression que ces gens-là étaient assis hier soir juste près de vous au bar…
Le lancement du livre « Là-bas dans la plaine », organisé par le journal Notre Anatolie a eu lieu le 30 septembre dernier à la Taverne Jarry.
Pendant le lancement du livre nous avons eu l’occasion de lui parler. Voici nos questions et ses réponses:
– Pourriez-vous nous parler de vous, où avez-vous grandi, qu’est-ce que vous avez fait avant de vous installer au Québec?
– Je suis né sur la rive asiatique d’Istanbul. Le quartier où nous habitions, peuplé de gens simples et ordinaires, était une banlieue pauvre de la ville. Enfants, pieds nus, nous jouions dans la rue qui à cette époque n’était pas asphaltée et il n’y avait que quelques maisons. On imagine la poussière l’été et la boue l’hiver. J’ai fréquenté pendant cinq ans la petite école qui s’y trouvait. Le secondaire, où l’enseignement était entièrement en français, a été un désastre. Je ne réussissais pas et j’étais toujours le dernier de la classe. J’ai décroché à quinze ans et commencé à travailler comme vendeur à l’étalage dans une quincaillerie située sur la rive européenne où on vendait des articles d’électricité. L’année suivante, je m’entraînais déjà à la boxe. Je demeure invaincu à Istanbul. Pendant cette période je me suis aussi intéressé à la moto. Petit à petit, avec l’exode rurale, le quartier s’est peuplé; on a construit comme des champignons et les camions ont remplacé les voitures à cheval. À vingt ans je me suis enrôlé dans l’armée et c’est pendant mon service que mes parents ont émigré. À ma démobilisation, toutes les rues du quartier étaient asphaltées. À la place de notre maison, il y avait un immeuble de plusieurs unités et tous mes amis dispersés. Dernièrement j’ai entendu dire que la quincaillerie existe toujours.
– Vos premières années au Québec?
– J’ai travaillé un an, appris le métier de soudeur et j’ai acheté une moto. Ensuite, j’ai quitté ma famille et je me suis installé dans une chambre au carré Saint-Louis. Désormais j’apprenais à vivre dans un environnement entièrement québécois. Si, aujourd’hui, je ne vis pas différemment des gens d’ici, je dois mon intégration au carré Saint-Louis. D’ailleurs, c’est là que j’ai rencontré une femme qui allait changer le cours de ma vie. Elle enseignait la linguistique au CEGEP alors que j’étais ouvrier; qualifié, mais ouvrier. Subissant son influence, j’ai terminé le secondaire chez les adultes, j’ai arrêté de souder et commencé mes études supérieures. Aujourd’hui j’ai huit années universitaires. Non seulement elle n’est plus dans ma vie, elle tire sur moi à coup de boulets rouges (rires). Entre temps j’ai travaillé comme policier dans la GRC et j’ai même eu la tentative de franciser l’Ouest; mission impossible (rires).
– Quels auteurs avez-vous lus? Est-ce que vous avez un ou des auteurs préférés? Si oui, lesquels?
– Plusieurs; en trois langues : français, anglais et turc. Mais surtout Hemingway, Maupassant, Saroyan et Nesin. Mon préféré est Hemingway. J’ai lu son œuvre complète. J’aime beaucoup les nouvelles de O. Henry.
– Qu’est-ce qui vous a poussé à ne pas écrire dans l’une de vos deux langues maternelles?
– D’abord, je suis presque analphabète en arménien. Je pense que la langue vous pointe du doigt et vous dit « tu te serviras de moi pour écrire ». Je n’ai jamais cherché à choisir parmi les langues que je parle. L’environnement y est pour quelque chose sans doute. On y parle français et j’y fonctionne en français; y compris pour l’écriture. D’ailleurs, nous n’avons qu’à penser à Panait Istrati, Roumain, à Samuel Beckett, Irlandais qui ont écrit en français. Sans oublier, plus près de nous, Halidé Édip et notre amie Yeshim Ternar qui ont choisi l’anglais.
– Est-ce que vous écrivez facilement? A quel moment écrivez-vous? Comme vous le savez, il y a des auteurs qui préfèrent écrire dans un endroit silencieux. Mais aussi il y en a certains qui préfèrent écrire, par exemple, dans un café, au milieu de bruit…
– Non, j’écris très lentement et n’importe quand. À vrai dire, j’imagine mes nouvelles souvent assis, seul, au comptoir d’un bar. J’invente des histoires, des scènes, je fais parler mes personnages et je recommence encore et encore. Je les change, je les polis et une fois bien claire dans ma tête je m’assois et j’écris. Mais il n’y a pas que les bars; il y a aussi les nuits d’insomnie (rires).
– Forcement, il y a une question qui vient à l’esprit. Dans votre premier recueil vous ne contez pas les gens parmi lesquels vous avez grandi ou ceux de votre entourage au Québec; mais plutôt vous nous faites connaître des gens de l’Ouest. Pourquoi ce choix?
– N’oublions pas que les gens de l’Ouest font partie de mon entourage aussi. Je suis encore en contact étroit avec certains d’entre eux. Mon prochain recueil sera sur le carré Saint-Louis et les personnages seront majoritairement Québécois. Quant à ceux parmi lesquels j’ai vécu ma jeunesse, certains étant très colorés, ils pourraient paraître dans mes nouvelles à venir.
– Dans vos nouvelles, vous ne préparez pas le lecteur à entrer dans l’histoire mais vous le faites directement avec les personnages. Ce n’est pas un peu choquant? On dirait que le lecteur entre dans un café ou un bar, il voit les gens assis au comptoir et il commence à leur parler. Comme si vous ne vouliez pas fatiguer le lecteur avec les sous-entendus… Vous ne faites pas chercher Charlie dans vos nouvelles…
– On dit que l’art moderne choque (rires). Blague à part, j’avoue que je ne veux pas écrire comme d’autres l’ont fait avant moi. Mes nouvelles n’ont pas de véritable fin inattendue. La surprise est souvent dans la durée du récit. Disons que c’est ça mon originalité. Qui sait? Il est là Charlie, faut pas le chercher désespérément pour se donner la satisfaction de l’avoir trouvé et de se prouver qu’on a compris parce qu’on est brillant.
– C’est quoi la chance d’un immigrant dans la littérature du pays. Est-ce qu’il y a des exemples?
– Je ne me pose pas cette question. L’écriture est comme un ver; une fois que vous l’avez, il vous ronge sans arrêt et vous finissez par écrire et vous continuez. Peu importe où vous êtes venu au monde et où vous vivez. Le lieu de naissance peut parfois nuire à l’écrivain. Un illustre Français a dit, je cite de mémoire, « Que de Hémingway sont nés au Paraguay ». Quant à Hemingway, une partie de son œuvre est écrite à Cuba et aucun de ses romans ne se déroule aux États-Unis. Les exemples en abondent: Yourcenar, Joyce et j’en passe.
Ömer Özen / Notre Anatolie / Oct-Nov 2012